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L’APPEL AU SOLDAT

mais, pour qu’il triomphe, chacun d’eux risquerait son tout, et, d’ailleurs, n’imagine rien que des moyens de théâtre. Ils se butent sur cette idée : « Le retour de Boulanger surexciterait les esprits, prêterait à d’immenses manifestations et permettrait de franchir, dans un coup d’emballement, l’effrayante banquette du 22 septembre. » Alors, Renaudin, qui, par la terreur, les éclats et d’émouvantes supplications, a tout de même obtenu ses billets de mille, sort du cabinet où l’on vient de les lui compter, et, dans une bouffée d’optimisme, pour que la confiance règne dans ce milieu de délégués et de mouchards, une des places publiques les plus en vue de France, il prend sur lui de déclarer :

— Le Général reviendra trois jours avant le scrutin. Je le sais de la source la plus sûre ; un yacht le déposera sur une côte de Normandie.

Ainsi lancés, ces bruits circulent, tiennent en haleine les opportunistes, reviennent à leurs auteurs avec une déformation qui leur donne une manière d’authenticité, et peu à peu ils rendent nécessaire, sous peine de grave désillusion, cette tentative aventureuse du chef à qui décidément on ne demande pas des actes suivant la raison, mais toujours des actes suivant sa légende.