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L’APPEL AU SOLDAT

Comité des droites se réservait ; en échange, il demandait la liste boulangiste pour les circonscriptions où les conservateurs considéraient qu’ils n’avaient pas de chances. Eh bien ! cette liste de républicains dévoués au Général, jusqu’alors on n’avait pas su la dresser. Le temps, pressait ; les candidats manquaient : Sturel pouvait-il se dérober ?

Durant ce discours, Boulanger paraissait absent ; son regard avait pris une certaine fixité et cette dureté qui, de temps à autre, remplaçait pour une seconde l’expression bonne et un peu rêveuse de ses yeux bleu clair. Cette profondeur de l’abîme épouvanta Sturel. Un pareil désarroi et cette pénurie d’hommes, qui vont empêcher sinon le succès électoral, du moins l’utilisation boulangiste du succès, le devraient fortifier dans son refus. Il a vérifié la qualité exacte de son esprit dans ses méditations sur la Moselle ; pourquoi s’engagerait-il dans une voie où il est inférieur à un Suret-Lefort ? On n’est jamais forcé de sauter par la fenêtre et ce n’est pas d’un goujat de mesurer son élan d’après son devoir strict. Mais quoi ! Sturel a l’imagination vive. Puisque dans la circonstance c’est plus esthétique d’accepter que de décliner la candidature, il obéit et s’incline.

— Merci, dit le Général, avec le ton leste d’un homme qui a terminé une petite affaire dont la solution, d’ailleurs, ne lui parut jamais douteuse.

Peut-être croyait-il vérifier pour la centième fois qu’un homme ne refuse jamais son intérêt.

Maintenant, Naquet, sans renier les détails par lesquels il a éveillé dans ce jeune homme l’esprit de discipline, les interprète de façon à le convaincre du succès.