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L’APPEL AU SOLDAT

« C’est très important, ces théories philosophiques et historiques du droit, parce que chacun, gouvernement ou individu, y trouve un mobile ou sa justification.

« Pour toi, mon cher Sturel, ce que je dis du génie allemand demeurera une chose verbale, une notion. Moi, c’est ma vie intérieure, toute ma tranquillité, que je joue ici. Je reconnais la puissance, la sincérité des âmes allemandes ; elles m’engagent dans une grande voie qui me sort de l’artificiel, me conforme à la nature. Et puis voilà que je les entends, au nom de principes que j’allais adopter, conclure avec logique à des arrêts qui m’épouvantent. J’ai rencontré ici le platane de M. Taine à des milliers d’exemplaires. Au lieu de l’arbre joyeux qui m’engageait à aimer la vie, c’est une sombre forêt où d’affreux abattements succèdent à d’inoubliables ivresses. Les grands chênes de Germanie me disent : « Nous sommes le résultat d’un triage de la nature ; le droit de vivre, nous l’avons conquis et nous le conquérons chaque jour par les lois brutales et fatales de la force. Tous les problèmes de justice sont réduits à un problème de mécanique : la société est un système de forces où le vaincu au demeurant a toujours tort. Le fait accompli constitue le droit. »

« Je ne puis nier ces vues morales et sociales où mènent des méthodes auxquelles j’adhère passionnément, mais quoi ! faut-il y trouver la condamnation de notre pays ? Conception du droit et de l’histoire, théorie de l’État, tout ce que l’on enseigne autour de moi à l’Université de Berlin tend à réclamer pour l’Allemagne la suprématie universelle. Mais alors si