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L’APPEL AU SOLDAT

Laguerre, survenant, appuya Naquet et le jeune homme. Aussi bien ces atermoiements irritaient, surtout après l’échec de dimanche. À chaque fois que le Comité l’interrogeait sur les listes électorales, Dillon répondait : « Elles sont dans les papiers que j’ai apportés de Bruxelles ; je vais les déballer cette semaine. » On savait que, par deux fois et à quinze jours d’intervalle, M. Auffray, venu de Paris pour conférer de la part des droites, s’était heurté aux mêmes défaites de Dillon. Sur l’insistance de Naquet, de Laguerre et de Sturel, l’Éminence grise exhiba un petit cahier rouge qui portait en marge les noms des circonscriptions et, dans trois colonnes, les candidats « nationalistes », « opportunistes » et « conservateurs ». Comme nationaliste, Dillon cita pour la Meuse Suret-Lefort. .

— Je crois l’indication inexacte, dit Sturel. Suret-Lefort nous veut du bien, mais il manœuvre pour obtenir les voix opportunistes. Si vous prétendez lui donner votre estampille publique, il vous désavouera.

Dans la Haute-Marne, Dillon nomma le comte de Nelles. Sturel n’osa pas protester, mais il pensa qu’à patronner un orléaniste avéré, le Général détruisait son autorité républicaine dans toute la région et se préparait, en cas de succès, une Chambre plus royaliste que boulangiste. Sa propre position, fort ambiguë pour apprécier Nelles, aurait pu le rendre indulgent aux compromis où ses amis de leur côté se diminuaient. Mais il pensait, avec saint Thomas d’Aquin, que le sage est celui qui fait l’ordre dans les choses : « Sapientis est ordinare »; il voyait beaucoup d’orateurs, d’esprits brillants, d’hommes énergiques dans