Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LA FIÈVRE EST EN FRANCE

partout, sous les mots et sous les opinions, le terrain solide des faits. Quoique je borne ici ma curiosité aux matières de l’enseignement, je suis bien amené à voir qu’en dehors même de leur études ils portent ce besoin, cette habitude de se tenir en contact avec la réalité. C’est une disposition héréditaire qui a créé leur méthode de travail, mais cette méthode ajoute à ce réalisme inné.

« Je me figure que, dans ce milieu allemand, on aurait pu tirer parti de Racadot et de Mouchefrin ; on n’aurait pas mis dans leurs têtes qu'ils devaient se mépriser s’ils n’étaient pas les rois de Paris. Ici, on trouve constamment ce qu’on ne voit pas chez les Parisiens et, en conséquence, de moins en moins chez les Français : l’alliance étroite de la discipline et de l’indépendance chez un même être. Dans l’ordre de la spéculation, ce sont des esprits aussi libres que possible ; dans l’ordre des choses pratiques, ils sont caporalisés. Ils marchent dans le rang, chaque fois que ce n’est pas l’objet actuel de leurs études de rechercher s’il faut obliquer à droite ou à gauche.

« Pour ces Allemands disciplinés et indépendants, extrêmement audacieux d’idées et attachés à la réalité, tout ce qui existe est vrai, tout est bien à sa place. Leur intelligence et leur goût obstiné des faits leur en donnent le respect. C’est bon aux Français dans leurs fièvres, avec leur excitabilité, d’invoquer ce qui doit être. Un Allemand pense au contraire qu’il faut se laisser modifier et façonner par ce qui est. À notre idée bien française, que la volonté libre est l’essence de l’homme, que par ses décrets elle peut refaire la société, l’Allemagne oppose la loi de continuité et le déterminisme universel.