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L’APPEL AU SOLDAT

Jadis, elle l’aurait engagé à se retirer avec tout le monde et à revenir, une fois la maison endormie. Mais elle est trop froissée pour lui marquer un tel intérêt. Et puis, sentiment tout nouveau, elle serait honteuse que Rœmerspacher soupçonnât une telle faiblesse.

Les deux amis refusèrent la place que le cousin et la cousine leur offraient dans leur voiture. Ils revinrent à pied, par cette nuit splendide, le long du boulevard désert. Tout de suite, Sturel voulut serrer mieux la discussion qu’ils venaient d’esquisser. Il expliqua comment, à examiner la Lorraine et les divers territoires mosellans, il avait compris la nécessité pour la nation, si elle veut durer, de se rendre intelligibles à elle-même la réalité et la haute dignité de l’esprit français :

— Ce n’est pas seulement notre territoire qu’on entame, mais notre mentalité. Un trop grand nombre de nos compatriotes ignorent leurs racines nationales : ils font les Allemands, les Anglais ou les Parisiens. Le Parisien, c’est de l’artificiel, du composite ; il n’y a pas de bois parisien, c’est du bois teint. Sur le cadavre du duché de Lorraine, je me suis assuré que les nations, comme les individus, sont vaincues seulement quand elles se déclarent vaincues, meurent quand elles renoncent à vivre, et perdent leur nom peu après qu’elles en oublient la définition. Je reviens de cette leçon de choses plus boulangiste que jamais, parce que Boulanger, en 1887, a rendu les deux Lorraines, l’annexée et la française, plus confiantes dans la France, plus énergiques à vouloir vivre.

— Tu as mille fois raison, répondait Rœmerspacher, mais il faudrait veiller à s’interdire des idées