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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

faire remarquer, enfin à cause de leur humeur, accomplissent des choses héroïques et sont à la fois des objets d’admiration et les causes de grands désordres ; ces héros, ces hommes dangereux n’existent pas dans cette région de la Moselle. D’Épinal à Toul, Sturel et Saint-Phlin ont vu des paysans assujettis et délaissés, mais de Trêves à Coblence, ils sentent en outre la lenteur d’esprits difficiles à stimuler. Les femmes, les enfants, après avoir entendu les « Hop ! hop ! » des deux cyclistes et leurs sonnettes d’avertissement, après s’être retournés lentement, prennent encore un délai avant de se garer. — Un astronome qui veut observer une étoile, quand elle passe au croisé des fils du réticule, presse sur un ressort : une pointe trempée dans l’encre grasse se déclanche de l’aiguille à secondes et vient marquer en noir sur le cadran l’instant précis. On pense que les résultats de tous les observateurs correspondent ? Nullement ! il y a des différences de quelques centièmes de seconde, qui sont permanentes, Cette quantité qu’on appelle 1’« équation personnelle » représente le temps dépensé dans un cerveau entre l’arrivée de la sensation et la décision. Un astronome connaît son équation personnelle et la soustrait dans ses calculs. — En juillet 1889, Saint-Phlin et Sturel crurent constater que les riverains de la Basse-Moselle, trop bonnes gens pour jeter des pierres, ne savaient s’écarter des bicyclettes qu’après trente-six lenteurs et admirer qu’à deux cents mètres en arrière : leur équation personnelle les prouverait plus lents que nos paysans lorrains.

Un cabaretier qui servit aux jeunes gens du vin de la Moselle parlait français. Son père avait fait la cam-