Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
377
LA VALLÉE DE LA MOSELLE

plus fin, après avoir suivi le grand fleuve de Mayence à Cologne, ils jouiraient de retrouver au long de la rivière les vignes sur les pentes, les maisons à pignons, groupées en bourgades à chaque tournant ou allongées sur la berge étroite et toujours surmontées d’une ruine féodale, les vallées qui s’ouvrent aux deux rives et qui laissent apercevoir des donjons dans chacun de leurs dédoublements, enfin tous les éléments rhénans proportionnés pour composer l’harmonie délicate des paysages mosellans. Çà et là, des bancs précisent ce gentil caractère de toute la Basse-Moselle, heureuse de sa paix, de son demi-isolement, touchant rendez-vous des petites gens, pays de vin, non de bière, et dont les eaux transparentes apportent un peu de France à l’Allemagne.

Ce ne sont point ici les grands ciels salis de brume des antiques burgraves, mais des nuages joliment formés promettent des pluies dont la verdure se réjouit. Et l’absence d’hommes et de bruit ne va pas jusqu’à créer la solitude, mais seulement le repos. En dépit de quelques montagnes d’une structure assez puissante, la nature dans le val de la Moselle ne trouble pas, ne domine pas le voyageur. Elle dispose Sturel et Saint-Phlin à une activité raisonnable et régulière. Le courant d’air vivifiant de la rivière, un sport modéré, l’excitation de l’amitié, leur méthode d’éliminer du paysage ce qui ne se rapporte point à leur programme, tout concourt à faire de ces deux jeunes gens non pas des hystériques livrés aux sensations, mais des êtres qui dirigent le travail de leur raison avec une parfaite santé morale.

Depuis leur sortie de Lorraine, des Gretchen leur offrent des biftecks plats coiffés d’œufs au beurre,