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L’APPEL AU SOLDAT

contre les Sarrasins, ignorait qu’il la laissât enceinte. L’infâme Golo, intendant du domaine, n’ayant pu la séduire, la dénonça comme adultère, et le crédule Pfalzel ordonna la mise à mort de la malheureuse et de l’enfant que des valets attendris se contentèrent d’abandonner dans ces montagnes boisées. Une caverne abrita Geneviève ; des fruits la nourrirent et son fils tétait une biche. Après plusieurs années, Siegfried, à la chasse, poursuivit la biche jusque dans le rocher où sa femme lui prouva son innocence. L’infâme Golo fut écartelé. La touchante martyre ne tarda pas à mourir de ses privations.

Cette tradition mosellane, qui a enchanté l’enfance de Sturel, date de 724 peut-être ; sûrement on la connaissait en 1472. Elle appartient à un cycle d’histoires qui des plus nobles châteaux glissèrent aux petits enfants. Dans les pays de formation féodale, elles les touchent beaucoup, tant que Paris ne les a pas détournés et qu’ils laissent parler en eux les préférences de leurs pères. Mais ces petits eux-mêmes ne soutiendront pas longtemps ces légendes sur le gouffre de l’oubli ; ils ne les sentiront plus comme nationales, parce qu’eux-mêmes se seront vidés de leur antique nationalité. L’esprit local la remplit, cette histoire de Geneviève ! Elle fait comprendre la bonne et douce race si disciplinée d’Austrasie. On y trouve de la débilité, du raisonnement, un goût serf pour s’apitoyer, une confiance rustique dans la nature. Le comte de Pfalzel est un impulsif. Il condamne, il pardonne, sans avoir les éléments d’une sérieuse connaissance de la vérité. Ah ! les belles garanties pour l’hérédité de la seigneurie de Pfalzel, quand Geneviève, dans la caverne, par des