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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

tuations de vigueur au premier plan incliné d’une plaine semée d’oliviers, inondée de pure lumière et ondulée à l’horizon par la Montagnette. Dans cette solitude, une fontaine bruissait ; quelques branches déjà jaunies dans le feuillage vert des ormes semblaient de longs fruits d’or pendants. Le clocher de Saint-Rémy, édifié sans doute depuis une trentaine d’années, troublait seul ce divin ensemble, comme un jeune homme qui parle haut quand les aïeux se taisent.

— Oui, dit Saint-Phlin à son ami que le souvenir de ces beaux jours enchantait, du plateau des Antiques on est bien placé pour aimer la Provence ; mais pour la comprendre comme une chose vivante, le meilleur point, c’est auprès de Mistral.

Sturel fut curieux de connaître quel état d’esprit permet d’espérer que reverdiront des vieilles tiges dont il s’avouait aimer précisément qu’elles fussent desséchées sans espoir. Il pressa son ami de lui parler plus longuement de ce maître.

La visite de Saint-Phlin chez Mistral.

« C’est en été, vers les dix heures, qu’un matin j’arrivai à Maillane, la ville des platanes et des cyprès. Quand j’eus pénétré dans la maison de Mistral et dans son cabinet frais et fermé à la grosse chaleur, je vis un homme d’une grande beauté ; et d’abord il menait la conversation avec un peu de gêne, parce qu’il cherchait à distinguer mon caractère. J’aurais voulu placer derrière nous de longs entretiens pour qu’il sût déjà que je l’abordais avec une connaissance profonde de sa réalité. Allais-je lui expliquer par des