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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

où tu t’abîmes. J’y vois l’arbre de la vie, et ses racines y soulèvent le sol.

Sturel reconnut qu’en effet il répugnait secrètement à ce que le temps et les circonstances apportent de modifications. Cette constatation d’un état d’esprit qu’il trouvait lui-même un peu stérile le rendit soucieux jusqu’à Trêves, où de beaux monuments et l’animation d’une grande ville le sortirent d’idées qu’il n’avait pas un intérêt immédiat à creuser.

Le sens profond de Trêves, c’est d’être la cité romaine, comme Metz la cité franco-carlovingienne. Elle eut sa grande époque au quatrième siècle. Capitale de la Gaule, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne et l’une des quatre têtes de l’Empire, résidence de Constantin et de Julien, elle fut la proue latine que battaient les flots du Nord. Ses épaves ensablées attestent une civilisation recouverte par le tourbillon germain. Sa porte Nigra subit l’assaut répété des hordes barbares. Dans son amphithéâtre, maintenant enfoui sous les vignobles, les empereurs, qui assumaient avec fermeté les moyens d’ordre social, livrèrent aux bêtes des milliers de Francs et de Bructères. Voici leur palais tout tapissé de lierre. Et pourtant la grande ville industrielle étendue sous son ciel nébuleux ne donne pas d’ensemble les impressions romaines qu’à lire Ausone et Fustel de Coulanges Sturel et Saint-Phlin avaient espérées.

— Nous venons, se disaient-ils, de visiter autant de monuments du grand peuple qu’on en voit à Orange, dans Arles ou dans Nîmes, mais la vie sèche de Provence, ses mœurs maigres, son ciel bleu, sa