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L’APPEL AU SOLDAT

— Pourtant, selon mon livre, les Français furent toujours frivoles et battus !

Et le père, mal à l’aise, de répondre :

— Oublie tout ce qu’il t’enseigne, le maître. Il n’y a de vérité qu’en français.

Cette magnifique parole d’un aubergiste qui baisse la voix sur une terre esclave, ramène, une fois de plus, vers leur collège de Nancy, la pensée irritée de Sturel et de Saint-Phlin. Des professeurs, le croirait-on, cédant à quelque fade sentimentalité, se désolaient des avantages brutaux pris par Louis XIV et Napoléon dans une lutte qui dure de toute éternité entre les populations du territoire français et celles du territoire allemand. C’est niaiserie. En l’absence d’une vérité absolue sur laquelle des membres d’espèces différentes se puissent accorder, les fonctionnaires chargés de l’enseignement doivent s’inspirer du salut public. Ce n’est pas une vérité nationale, celle qui dénationalise les cerveaux.

Sturel et Saint-Phlin le sentent ; ce qui résiste à l’invasion allemande, c’est un vieux fonds sentimental rebelle à l’analyse ; ce n’est pas l’éducation française puisqu’elle tend à faire des hommes, des citoyens de l’humanité plutôt que des Français et des membres de la société traditionnelle ; ce n’est pas, non plus, le souvenir d’une civilisation matérielle qu’on trouve au moins égale sous le régime allemand. Que vaudraient-ils ces admirables patriotes du pays annexé si leur amour pour la France était racine dans ce terrain universitaire,, bon seulement pour qu’il y pousse des fleurs de cosmopolitisme ? Ils résisteront autant qu’ils tiendront fort dans le sol et dans l’inconscient.