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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

les soustraient à l’influence parisienne et des centres allemands, montre les couleurs fanées que l’imagination met sur l’ancien temps. Charmants anachronismes, dans Metz se promènent de jeunes sœurs de nos mères. Avec cela une honnête habileté. Sturel et Saint-Phlin qui cherchaient divers objets et un mécanicien, assez rare à cette date, pour réviser leurs bicyclettes, s’émerveillèrent de la gentillesse, de la fraternité des « bonjour, monsieur » qu’on répondait à leurs « bonjour » d’entrée. Et les « veuillez m’excuser », les « pardon », toute cette menue monnaie de la politesse française, comme les marchands la leur donnaient très vite, avec fierté, pour leur marquer : « Vous êtes Français, nous aussi ! » Après cela, pouvait-on discuter les prix ? Tandis qu’on parlait de bicyclettes, de chaussures, de lainages, on ne pensait rien qu’à la France, présente tout entière dans la langue des vaincus, langue du passé, des souvenirs, de ceux qu’on aime et sans accent germanique. Et puis des compliments, des tas de petites fleurs. À Sturel : « On voit bien que monsieur se fait chausser à Paris et prend ce qu’il y a de mieux. » — À Saint-Phlin, tout naïvement : « Monsieur a le pied très joli : ce n’est pas comme ces Allemands. » Après une demi-heure de courtoisie, et les objets payés fort cher, on se quittait en disant : « Espérons. »

Le troisième jour de leur arrivée, ils visitèrent, au cimetière de Chambière, le monument élevé à la mémoire de sept mille deux cent trois, soldats français morts aux ambulances de la ville en 1870. C’est, au milieu des tombes militaires allemandes,