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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

Sturel était souvent mise en mouvement par des objets usuels, ainsi, sur la table où ils mangeaient, des modèles surannés de la faïencerie de Sarreguemines, comme il en avait manié dans sa petite enfance ; et tel sucrier blanc de forme empire, à filet d’or, décoré de têtes de lion, utilisé comme pot à fleurs sur le bureau de la caissière, bouleversa agréablement tout le jeune homme pour le ramener là-bas, là-bas, vers son passé. La couleur aussi et le goût du petit vin de la Moselle ravivaient en lui un ensemble d’images et de sensations auprès desquelles contrastaient plus durement les éclats tudesques et les traîneries de sabres. Cependant que ces délicatesses un peu puériles troublaient les deux Lorrains, l’un et l’autre s’appliquaient à n’en rien trahir : dans ce milieu, il fallait par décence de vaincus éviter la moindre singularité. Seulement, au sortir du restaurant, contre leur habitude, ils se prirent le bras.

Ils marchaient ainsi affectueusement, quand ils rencontrèrent quatre bons voyous à la française, si sympathiques que Sturel proposait à Saint-Phlin de leur payer des cigares, mais les voyous, dégoûtés qu’on les examinât, se mirent à poursuivre ces passants indiscrets d’injures pittoresques devant lesquelles les deux amis fuyaient, tout réjouis que la discipline sociale allemande n’eût pas encore privé totalement ce pays des bénéfices libéraux de la critique alerte à la française.

Ils choisirent un café parce que les lettres de son enseigne dataient de la bonne époque ; ils n’y trouvèrent aucun soldat allemand. La propriétaire, une petite femme, avait la douceur, la gentillesse de la Moselle dans ses yeux. Ces excellentes gens, qui ont