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L’APPEL AU SOLDAT

commères de huit, de douze ans, qui disaient « ma chère » par ci, « ma chère » par là, assises sur des bancs ! Sûrement, ces garçons qui viennent de les inquiéter appartiennent à des fonctionnaires immigrés, et il faut se réjouir, car leur allemand a déjà pris un peu l’accent chanteur de Lorraine.

Ils gagnèrent, pour le souper de sept heures, un restaurant où l’un et l’autre jadis avaient mangé avec leurs familles et qu’ils trouvèrent encombré d’officiers de toutes armes. La salle, très simple, sans lourdeur de brasserie, les servantes, des petites demoiselles lorraines, faisaient un vieil ensemble messin où ces beaux géants, mécaniques dans leurs saluts et compassés dans leur fatuité, semblaient tout à fait déplacés. Les deux jeunes gens s’attristèrent à reconnaître que ces types-là maintenant se promènent nombreux même à Paris. Sous des casques à pointes, ils retrouvaient ces espèces de figures avec les basses parties énormes qui souvent les avaient irrités chez des contradicteurs de leur entourage. Il y a en France une incessante infiltration d’Allemands, qui, même s’ils renient leur patrie, compromettent nos destinées naturelles, car tout leur être se révolte contre notre vraie vie où ils ne trouvent pas les conditions de leur développement naturel. Les officiers de ce restaurant avec leur morgue alliée à une évidente acceptation de la discipline, avec leur forte carrure, sont d’intéressants types d’humanité, mais des servants d’un autre idéal ! Sturel et SaintPhin songeaient avec amour à ce que de tels êtres sont en train de détruire sur un espace de 14,587 kilomètres carrés.

Depuis le début de ce voyage, l’imagination de