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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

d’amour, composent, sur ces vallées de Côme, un orchestre magnifique par ses moyens d’expression, un tourbillon délicieux d’harmonie, un pur lyrisme qui magnifie nos bonheurs, nos malheurs, chacun de nos sentiments précis, et qui les élève, comme une créature à qui les dieux tendent les bras, hors du temps et de l’espace. Par un temps favorable et au début d’un séjour, chaque minute y prend un caractère d’immortalité ! Le printemps à Côme, à Cadenabbia, à Bellagio, sur le vieux port de Pallanza, Belgirate, à Lugano, c’est de la pure lumière vibrante c’est le chant qu’entendit le rossignol de Tennyson : « La chanson qui chante ce que sera le monde quand les années seront finies. »

Au coucher du soleil, un jour, dans le chemin romanesque qui de la Ville Serbelloni fait balcon sur le lac, François Sturel rencontra Mme  de Nelles, qu’il salua et qui ne l’arrêta pas. Elle prétexta un malaise pour demeurer seule ces temps-là. Elle ne trouvait pas auprès de M. de Nelles son rêve, c’est-à-dire le sentiment le plus passionné joint à la plus grande pureté morale. Dans ce beau pays, cette petite fille eût voulu être heureuse par l’amour. M. de Nelles, d’âme plus que médiocre et qui continuellement calculait et supputait, ne faisait pas un but convenable aux élans de ce cœur surexcité. Un amant Idéal, que l’amante le définisse ou non, c’est un jeune héros, joyeux et grave, fort et optimiste, animé d’un enthousiasme désintéressé pour un objet d’ordre général, pour la patrie, pour l’art.

Plus que dans les villes, où les plaisirs grossiers de son âge pouvaient le distraire de sa vraie nature, Sturel, sur ces rives harmonieuses, bientôt exaspéra