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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

sevelis : leurs mains s’agitent encore, quelques têtes dépassent, leurs bouches invectivent ou supplient jusqu’à ce que l’incessante avalanche leur écrase sur les dents leurs clameurs. Tel est l’état des indigènes sous les pierres amoncelées par le Kaiser allemand. Qu’ils puissent d’eux-mêmes tenter une résistance contre les forces supérieures qui renversent leur maison de famille et repétrissent leur sol, certes, cela ne vient à l’esprit de personne. Et ce fut avec un sentiment immédiat d’impuissance que les deux voyageurs, après les pourparlers de douane et les tracas de passeport, circulèrent au milieu de cet immense appareil stratégique.

Sturel avait connu Metz avant la guerre : en 1868 et 1869, il venait avec ses parents embrasser son frère, interne à Saint-Clément, et qui, deux ans plus tard, mourut prisonnier à Potsdam. Saint-Phlin avait habité quelques mois l’École d’application avec son père, commandant et chargé d’un cours. Pour la première fois depuis ces temps français, l’un et l’autre franchissaient la frontière et visitaient la préfecture du département de la Moselle » devenue la capitale de l’arrondissement de la Lorraine allemande.

Les Prussiens, qui brûlèrent et rebâtirent avec magnificence des quartiers de Strasbourg, n’ont ici rien modifié. Metz, une fois franchis les travaux qui l’enserrent, apparaît dans sa servitude identique à elle-même. Elle émeut d’autant plus, esclave qui garde les traits et l’allure que ses amis et ses fils aimaient chez la femme libre. Sturel et Saint-Phlin la reconnaissant encore française, lorraine et messine, sentirent avec une vivacité qui les troubla une