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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

du moins la notion de ce qui est utile à l’État : un boulangiste doit être plus implacable qu’un catholique à un Racadot.

Sturel s’offensait de la dureté que l’esprit de système ou bien une conscience trop sûre de sa dignité donnait à son ami. Il craignit qu’à resserrer son humanité un peu flottante en un nationalisme positif, lui-même ne baissât en générosité. Ce scrupule est classique chez l’individu qui commence à se socialiser. La prochaine étape, en le mettant en face des dures nécessités de vie ou de mort qui nous suppriment la liberté d’hésiter, allait le tranquilliser.

D’une façon générale il est difficile de voyager à deux sans qu’il surgisse de ces petites difficultés mal saisissables, auxquelles ajoute la fatigue nerveuse chez un cycliste mal entraîné.

(De Pont-à-Mousson à Metz, 28 kil.)

Certes, d’un bout à l’autre de son cours, la Moselle offre des paysages bien différents de ce que les voulait la nature ; l’homme les a recréés selon ses lois ; mais après Pont-à-Mousson et quand on passe la frontière, ce ne sont plus seulement des hauts-fourneaux salissant le ciel de leur fumée et obstruant la vallée de leurs « laitiers » : les transformations se présentent formidables et déconcertantes.

Le long de la Moselle, Sturel et Saint-Phlin ont déjà rencontré environ quatorze forts. Toul en a douze, et Metz, onze. C’est, pour relier ceux-ci, un enchevêtrement de lignes stratégiques et de travaux d’art sur un sol bosselé par les tombes de 1870. En méditant ces espaces dénaturés, on donne enfin leur