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L’APPEL AU SOLDAT

Contre la force des choses, pour ces gens de notre terre, que pourra Boulanger ?

— Rien, Sturel, si nous sommes des libéraux ; mais je nous croyais des boulangistes !…

… Ah ! le grand mot que dit Saint-Phlin ! Nous ne sommes pas des libéraux ! nous ne sommes pas de ces gens qui pensent que la Nation doit se développer, aveuglément, selon des tendances confuses où nous admirerions le jeu harmonieux des nécessités. Nous voulons maintenir et développer la lourde masse nationale. Les grandes choses ne peuvent pas se faire presque au hasard. Les Capétiens ont créé la France avec leur raison de famille. Boulanger doit se faire l’agent de la raison nationale… Mais si nous pouvons soutenir que la société française souffre gravement de produire des exaltations individuelles telles que M. Fould, où trouver la force pour faire régner cette raison nationale, et pour revenir sur des libertés anti-nationales et anti-sociales ?

Les deux jeunes gens appréciaient la difficulté.

— Ces néo-féodaux, répondait Saint-Phlin, tiennent tous les fils matériels de ces malheureux et ne disposent d’aucune des fibres de leur âme. Il nous appartient de nous emparer des émotions… La force du boulangisme sera de s’appuyer sur les concepts ancestraux, les sentiments héréditaires, sur la conscience nationale.

— La conscience nationale ! — disait Sturel, inquiet. Et, après un silence : — Voyons, nous faisons ce voyage pour que je prenne contact avec les réalités ; cela me rend exigeant. Je ne veux pas me payer de mots. Ces jours-ci, j’ai bien compris que dans la partie la moins parcourue de la vallée et sur les plateaux subsistaient