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L’APPEL AU SOLDAT

Asiatique ! Voici donc les images les plus profondément fixées dans ce malheureux ! Enfant, il a mille fois parcouru ce chemin sur les coteaux vers Bouxières-aux-Dames, et de ses petits pieds soulevé cette poussière où Sturel vient de culbuter. Voici les champs, premières richesses qu’il convoita, et voici les hommes qu’il désirait étonner. Les deux voyageurs, dans le ciel de Custines, dans ces coteaux de vignes, dans les grandes cheminées tragiques de la rive voisine, cherchent les éléments qui ont prédestiné leur camarade sanglant pour la pâle matinée de la Roquette.

Notre imagination, toujours heureuse de s’exciter, admet que des terres sans cesse dépouillées, des eaux fuyantes, des nuages mobiles, des fumées dissipées gardent l’empreinte d’un éphémère criminel. Comme si quelque chose de l’ordre moral pouvait se réfléchir dans l’ordre physique ! Certes, des lieux fameux nous renseignent sur les Virgile, les Rousseau, les Byron et les Lamartine ; ces grandes âmes, qui subirent une action évidente de la nature, ajoutèrent en outre du caractère à Mantoue, aux Charmettes, et à l’automne dans le Mâconnais ; mais, à propos d’un ignoble accident comme l’assassinat, interrogez seulement les conditions sociales qui l’ont déterminé et qui le qualifient.

Dans une auberge où ils mangèrent pour questionner directement sur leur ancien camarade, ils parlaient des lourdes usines qui s’imposent à la vallée et contrarient ses beautés.

— Elles doivent mettre beaucoup d’argent dans le pays, dit Saint-Phlin.

— De l’argent ! répond le patron, nous n’en voyons pas.