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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

mais celle-là ne tarit jamais. Tous les « ballons » de la région concourent aux premiers développements de la Moselle, comme une mère entourée des personnes de sa famille nourrit, caresse et fortifie pour la vie un petit à ses premiers pas. À deux kilomètres de Bussang, déjà cette enfant travaille. Elle fait tourner les roues de moulins, scieries, tissages, filatures et féculeries À chaque instant, les industriels lui opposent des barrages, ralentissent son cours, sa vie : c’est presque une morte où apparaît déjà la décomposition. Là contre elle se ramasse, fait effort de toutes ses ressources, passe l’obstacle et court, pacifiée, vraiment jeune et gaie. C’est de son courage que vivent Saint-Maurice, le Tillot, Ramonchamp et Rupt, ou passèrent d’abord Sturel et Saint-Phlin. Si jeune, elle a déjà pris la plus importante de toutes ses décisions : elle s’arrête dans sa marche au midi pour se jeter au nord-ouest.

Le Parisien Sturel sent les détails de la nature comme ferait un convalescent et trouve de neuves délices à l’ampleur des feuillages, au dessin des ombres sur le sol ensoleillé, à la qualité joyeuse de l’air sur son visage et dans sa bouche. Tous deux, chaque quart d’heure, se félicitent d’un mode de locomotion qui ne donne pas seulement un délicieux plaisir de vagabondage, mais qui par sa rapidité permet aux impressions de se masser en larges tableaux.

Voici des espaces admirables avec des montagnes trapues, bien garnies en terres, où alternent les spacieux herbages et les immensités d’arbres. À tous instants, d’autres vallées, qui s’ouvrent et vont se perdre dans la principale, fortifient la Moselle, libre, dégagée, charmante, de plus en plus heureuse, par