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L’APPEL AU SOLDAT

C’était, à cinq heures du matin, le sentiment de douze mille terriens accourus des villages où sonnait le tocsin. La femme de Sauce, suppliée par la hautaine Marie-Antoinette, répondait : « Mon Dieu, madame, j’aime bien mon roi, certainement ; mais dame ! écoutez, j’aime bien aussi mon mari… Il est responsable. Je ne veux pas qu’on lui coupe la tête. » Le royaliste constitutionnel Drouet et les autres, craignant à toute minute le galop des hussards de Bouillé, étaient devenus républicains.

Les gros mots et les menaces de cette immense jacquerie pénétraient avec le vacarme incessant des cloches dans la triste chambre des fugitifs perdus de fatigue et d’émoi. À sept heures et demie du matin, ayant fait l’impossible pour retarder encore, ils durent céder aux paysans armés, dont six mille, Drouet en tête, ramenèrent sur Paris le beau carrosse devenu le corbillard de la monarchie. À peine les portières fermées, sur l’otage plutôt que sur le monarque, la foule assaillait les gens de la suite royale, les complices de l’évasion manquée, les Choiseul, les Damas, respectueusement courbés devant leur reine comme à Versailles.

À onze heures et demie, sous les fenêtres de Sauce, Sturel et Saint-Phlin se passionnaient encore à reconstituer, non pas les émotions, sans rareté en somme, des personnes royales, mais l’état d’esprit politique des petites gens. Cette population, dans la nuit du 21 juin 1791, fit passer en actes des idées jusqu’alors enfermées dans des livres et qui, la veille, l’auraient indignée. Ce revirement étonne l’esprit comme toute belle contraction de tragédie :