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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

abondance de choses à écouter… Non pas des voix éparpillées qui de toutes parts me distrairaient, mais les mêmes voix me forçant à reconnaître et à apprécier chaque jour des tons plus élevés de la vérité… Un exemple entre cinq cents : le patois lorrain, c’est une chose très humble et négligée ; il me fait plaisir — quand la blague de Montmartre m’a toujours été insipide — parce qu’il m’éclaire certaines façons de sentir.

Sturel, pour pousser son ami, faisait semblant de ne pas comprendre. Alors Saint-Phlin expliquait :

— Vous avez sur toute la France une civilisation de surface, une sagesse académique. Les patois nous donnent la vraie sagesse locale, que chaque groupe humain dégage des conditions mêmes de sa vie… N’y a-t-il pas un réalisme excellent et une excusable malice de serf dans des proverbes comme ceux ci : « Il ne faut pas se moquer des chiens avant qu’on soit hors du village. » Qu’en penses-tu ? se moquer des chiens ! Avec un mot pareil, je te reconstruis le village lorrain qui n’est pas précisément hospitalier, et tu vois le moqueur en blouse. Et cet autre : « Besogne à la guise du maître vaut mieux que besogne bien faite. » Bouteiller ne nous fournissait pas des préceptes de cette qualité-là. L’éminent idéaliste les trouverait indignes d’un homme, vir, d’un citoyen civis ! Mais un pauvre, homme y mit sa vérité. Notre ami Rœmerspacher use souvent d’une, sentence du même cycle qu’il tient de son aïeul : « Avant de monter dans la barque, il faut savoir où se trouve le poisson. » Garde-les, ces mots de terroir, ces vérités d’une époque et d’une classe : tu verras que ce sont des pensées fortes.