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L’APPEL AU SOLDAT

labeur des Griotto à l’élévation et à la puissance du Dominiquin, à la vigueur et à la grâce tendre du Guerchin, dans leurs chefs-d’œuvre. La mode ne veut plus distinguer chez ces illustres méconnus que de la rhétorique et, dans une coloration brunissante, des gestes emphatiques. C’est qu’aux sentiments qu’ils expriment peu d’âmes aujourd’hui font écho. Dans la gent moutonnière des amateurs, l’un possède l’âme bêlante d’une petite femme qui croit que l’art, ce sont des chapeaux bien choisis, et l’autre, de goût anglais, flamand ou florentin, ne s’élève pas jusqu’à comprendre que, pour des natures sensibles à l’héroïsme, l’artificiel n’est point à la Sixtine, mais chez les magots et chez les suaves. Honneur aux peintres qui peignirent l’action de l’énergie et de l’enthousiasme ! Ils ne craignirent point de manquer à la nature, ni de paraître savants, ni de nous attaquer par des émotions fortes ; ils cherchaient à nous donner le poids des grandes âmes.

À Bologne, Sturel rêva de cette académie que fondèrent les Carrache, où l’on analysait les caractères individuels des génies du passé pour s’efforcer ensuite de les retrouver et de les accorder. Cette école d’analyse et de volonté s’appela d’abord les desiderosi, « ceux qui regrettent la perfection des anciens », puis les incamminati, « ceux qui s’acheminent vers cette perfection ». Peut-être le jeune voyageur versait-il dans ces mots, desiderosi, incamminati, ses propres pensées ; incapable d’apprécier la valeur technique des morceaux, il reconnaissait chez les Bolonais l’expression picturale de ses désirs violents qu’exagérait encore l’Italie.