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L’APPEL AU SOLDAT

bune pour répondre, il croisa dans l’étroit escalier son accusateur, et les deux adversaires se défiant, visage contre visage, demeurèrent un moment immobiles au milieu des sentiments tragiques de toute la salle. Constans mis à nu, réduit à bouffonner, ne perdit pourtant que l’honneur. Cette assemblée, où chacun à part soi le condamnait, l’amnistia dans un coup d’apothéose, terrifiée par la cruauté du boulangiste, et exaltée par le sentiment que tout le parlementarisme, honnêtes gens et coquins, fraternisait dans ce sauvetage.

Au sortir de ce duel, et sans avoir le temps de s’habiller, Laguerre se rendit en redingote au grand dîner de Nelles. Il aurait bien pu venir en veston ; Paris pour « ses lieutenants » avait alors toutes les indulgences. Sous le concert de félicitations, de curiosités qui l’accueillirent :

— Ah ! dit-il, c’était affreux, cet homme ! Cela m’a beaucoup coûté.

— Il le fallait ! répondit Boulanger, qui ne laissa voir aucune déception de l’ordre du jour pur et simple voté par la Chambre.

À table, il y avait une seule femme, la maîtresse de maison, et puis des membres du Comité national, quelques députés de la droite, disposés comme Nelles à profiter du boulangisme, un sculpteur, un peintre, un médecin, un écrivain à la mode, des millionnaires aux noms exotiques, mi-juifs, mi-honorables, très Parisiens, nullement Français, qui viennent d’obscures régions voltiger, ou, plus brièvement, voler autour de nos bougies. On parla des violences de la lutte. Quelqu’un cita d’atroces articles de Mermeix sur le cancer de Joffrin, et l’épithète de