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L’APPEL AU SOLDAT

nisme, il peut les favoriser pour obtenir de la considération.

C’était l’inquiétude de Bouteiller. Aussi de quelle joie puissante l’emplit une scène décisive dont il suivit et propagea le jour même les détails !

Il se promenait avec le nouveau ministre dans le long couloir, éclairé par la cour d’honneur du Palais, qui joint, à travers la salle Casimir-Perier, le salon des Sténographes à la bibliothèque. Georges Laguerre, sortant d’un vestiaire, se trouva venir à eux directement, avec sa serviette sous le bras, et de son air fameux de jeunesse heureuse et impertinente. Quand ils ne furent plus qu’à deux pas, Constans, avec ce ton bonhomme et cet air de maraîcher qui a des économies, l’arrêta d’un : « Bonjour, Laguerre, » en lui tendant la main. Laguerre, plus sec que jamais, considérant le personnage, dit de sa voix de tête, si prodigieusement insolente :

— Dois-je serrer cette main-là ?

— Ah ! — dit l’autre, en la secouant en l’air, cette main énorme et poilue, aux doigts carrés, outil d’étrangleur célèbre, — serrez-la ou non, je vous promets qu’elle vous serrera, elle !

À Constans trop habile, suspect, Bouteiller eût préféré Waldeck-Rousseau. Quand il vit son homme insulté et qui insultait, il espéra beaucoup. Des actes immédiatement confirmèrent ses prévisions optimistes. Le ministre entreprit de poursuivre la Ligue des Patriotes comme société secrète, devant la correctionnelle, avec le désir de rendre inéligibles MM. Déroulède et Pierre Richard, les députés Laguerre, Turquet, Laisant et le sénateur Naquet, et tout au fond, pour voir si l’opinion pourrait l’empêcher