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UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

un pion », répliquait l’autre. Ces propos rapportés, très vite oubliés par l’heureux Boulanger, à qui un Bouteiller semble un minus habens, avaient compliqué le débat d’une animosité personnelle, car l’ancien professeur souffrait de se sentir retardé dans sa carrière politique par son incapacité de plaire. Mais où le dédain de Bouteiller déborda, c’est quand il apprit au ministère de l’intérieur que l’élu du 27 janvier, pour se reposer, passait les premiers jours de février, incognito, chez la « belle meunière » à Royat, dans les bras de Mme  de Bonnemains, et cependant suivait un régime tonique de kola. Certaines créatures irréprochables de mœurs sourient, se gaussent d’un homme qui, à l’occasion, montra une retenue trop vertueuse. Le sentiment des puissances de l’amour — précisons : la notion du véritable mâle — subsiste en elles, nullement affaibli par leur indiscutable chasteté et parfois la domine. Par une duplicité analogue, Bouteiller qui, tant de fois, avait affirmé dans sa chaire universitaire, à la tribune du Palais-Bourbon et même dans sa, conscience, la proposition du Phédon, que « la loi a un caractère éternel et qu’aucune circonstance n’autorise à y manquer », aimait trop le pouvoir pour admettre que, près de le saisir, on reculât. Il ne sut aucun gré au général Boulanger de s’être abstenu d’un coup de force le soir du 27 janvier. « C’est un lâche, disait-il, et, d’ailleurs, il savait bien que nous le fusillerions. » Même à la première minute où tant de politiciens, qui ne jugent jamais que par l’événement, s’émerveillaient de ce « diable d’homme », Bouteiller marqua une pitié dégoûtée.

— En politique comme en escrime, professait-il,