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L’APPEL AU SOLDAT

rature refroidie met un léger verglas sur les trottoirs. Il va jusqu’à la place Beauvau, voit le ministère endormi, l’Elysée morne. Telle est sa confiance dans le Général qu’il ne s’inquiète de rien, mais il ressent la fatigue et la mélancolie qui suivent les grands excès de volupté.

Tandis que l’élu de Paris se hâte de rejoindre Mme de Bonnemains et que, dans ce mois, chargé plus qu’aucun depuis vingt-huit ans des grandes vertus nationales, son âme inexplicable garde assez d’indépendance pour aimer un simple individu, une femme, le seul reflet pourtant de sa glorieuse popularité, détache les autres de leurs maîtresses. Sturel ne pense guère à Thérèse de Nelles. La jeune femme a tristement passé cette belle journée rayonnante d’un soleil d’Austerlitz. Dans ce grand mouvement de la France, elle ne voit qu’une sèche et grossière opération de politique. Elle souhaite le succès, puisqu’il réjouira son ami, mais elle souffre, se sentant jeune, précieuse à tous, de comprendre qu’elle ne suffirait pas à le consoler d’un échec.

Très tard dans la nuit, son mari rentra mécontent. Lui aussi était allé voir aux environs de l’Elysée si Boulanger agissait. Parmi les derniers badauds, il avait rencontré M. Constans, qui lui avait dit : E finita la comedia.

— Il fallait lancer cette canaille, fructidoriser — répétait Nelles.

Et lâchant enfin son vrai sentiment, il ajouta :

— Nous sortir de l’incertitude.