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LE POINT CULMINANT

les refusera. Sortez alors, et nous rentrerons… » Ceux qui connurent une fois les ivresses populaires ne peuvent rêver sans battements de cœur ce que serait une pareille journée ! La foule immense sur les quais, sur la place ; derrière les grilles fermées du Palais-Bourbon, les rares députés du parti saluant le peuple avec leurs mouchoirs, l’appelant à oser ; de maigres troupes un instant hésitantes et puis gagnées enfin par cet enthousiasme, comme des îlots par l’océan, et les fiers cavaliers penchés, fraternisant avec les patriotes, au milieu du délire de la délivrance : c’est alors qu’apparaîtrait, des couloirs au plein air, le chef, frappé peut-être, insulté par d’éloquents énergumènes, et qui vient se confier à l’ouragan. Souhaitons que, dès cette minute, les choses se concluent avec un minimum de brutalité et, par exemple, qu’on se contente de tremper à la Seine les parlementaires, comme des chiens qu’on veut épucer sans les noyer,

À chaque minute du grave colloque entre Boulanger et Déroulède, la porte est frappée, entr’ouverte par des fidèles, dont l’enthousiasme et la jalousie supportent mal l’accaparement du Général. Et lui-même souffre de toute son ardente clientèle. Son succès qu’il attribue à lui seul et à la foule, il craint qu’une intrigue l’exploite.

De ses paroles hachées, on dégage nettement son état d’esprit en face de l’hypothèse, qu’il a souvent étudiée, d’un coup de main sur le Parlement. Depuis que, ministre de la Guerre, il a déjeuné avec Naquet dans ce même restaurant Durand, il a envisagé, comme le général Hoche, comme le général Bonaparte, l’épuration du gouvernement républicain par