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LE POINT CULMINANT

Rochefort donnait le ton à cette lutte quiftut charmante par la passion, les grandes dépenses et les réunions belles comme des batailles rangées. Le tout d’une excellente verve parisienne. M. Clemenceau ayant rédigé une affiche « Pas de Sedan ! » les boulevards et les faubourgs portèrent aux nues la répartie de l’Intransigeant : « Vous l’aurez donc en drap d’Elbœuf ! » Fatigué d’entendre parler du parlementaire Baudin, qui mourut pour vingt-cinq francs par jour, on répliquait que les soldats meurent pour un sou.

Les troupes étaient excellentes, révolutionnaires blanquistes, patriotes de Déroulède, bonapartistes des ligues plébiscitaires : des gens pleins d’esprit et de cœur. De telles secousses soulèvent toujours la lie d’une capitale. Mais cette fange, mise en contact dans toutes ses parties avec l’atmosphère boulangiste, se purifia. Cette cohue ralliée au cri de « Vive Boulanger ! » qui lui semblait confusément un moyen révolutionnaire, fut bien obligée d’accepter les « Vive la Patrie ! » et les « Vive l’armée ! » qu’il contenait. C’est un rude homme : il a été blessé pour son pays, ses soldats l’aimaient, les Prussiens le détestent ! Ces idées nécessaires pour réfuter le parti gouvernemental, en pénétrant les pires cerveaux, les ennoblirent. Les attroupements, les clameurs, le tapage, bien faits pour libérer toutes les forces anarchistes, avaient cette fois pour centre un général patriote de qui tout ce désordre recevait l’état d’esprit national d’une levée en masse.

Suret-Lefort, Sturel et le journaliste Renaudin, chaque soir, dans deux ou trois réunions, connurent la joie de fraterniser avec des milliers d’inconnus