Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
L’APPEL AU SOLDAT

gisme si entêté soulevait dans le monde monarchique.

Floquet sentait la veine. Trois députés étant à élire, il convoque la Charente-Inférieure, la Somme et le Nord, pour la même date, 19 août 1888, afin que leur réprobation frappe d’une triple décharge le soldat turbulent et rebelle, qui a toujours marché les yeux bandés, comme la fortune, mais à qui il se flatte d’apprendre qu’avec le cou bandé on doit définitivement se coucher. — Or voici que le 5 août, le Général sort de son lit, se déclare guéri, plaisante, voyage tout le jour, toute la nuit, visite ses électeurs, fait surgir les ovations. Une atmosphère mystérieuse de confiance et de joie émane de cet énergique ressuscité. Sur les territoires qu’il parcourt, une race rajeunie se dresse où les gens de l’anti-boulangisme se dénoncent comme des éléments étrangers.

Le soir du scrutin, M. et Mme  de Nelles, accompagnés de Sturel, voyaient à l’Opéra, en face de leur baignoire, Georges Laguerre très entouré dans une loge. De quart d’heure en quart d’heure, on lui apportait des liasses de télégrammes. Les ministres étaient dans la salle. Le public ne regardait que le jeune politique raide et accumulant sous sa lorgnette ces dépêches de triomphe. Nelles alla lui serrer la main et apprit que les résultats partiels assuraient le triple succès du Général. Sturel n’y put tenir et quitta, lui aussi, Mme  de Nelles. Laguerre, d’un air impassible, avec sa parole tranchante et puis avec des adoucissements de caresses, répétait à plusieurs personnes :

— Dans six mois, quand nous serons au pouvoir,