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L’APPEL AU SOLDAT

se pressant les mains. Jusqu’alors, à son insu, elle souffrait de sa liberté et de n’être la captive d’aucun homme. Cette force que sa jeunesse ne savait pas employer accueillit toute Sturel. Amour idéal et physique, car elle avait vingt-trois ans, et qui la remplissait d’un joyeux étonnement. Elle croyait qu’elle cherchait un regard sage et doux chez un amant bien né ; elle s’aperçut qu’elle goûtait les folies.

Encore émue de leurs caresses, cette colombe amoureuse se racontait dans ses mystères à son ami :

— Les femmes disaient que j’étais un joli bijou, mais que j’étais bien malheureuse de n’être pas une femme et de vivre comme un petit poisson.

L’innocence de son sourire avivait tout son corps dévêtu. C’est avec une reconnaissance infinie de voluptueux qu’à quatre heures du matin Sturel la laissa brisée de tendre fatigue.

Le bonheur dans l’amour, ce sont les premiers instants d’une brève solitude, quand sur soi l’on porte encore les frémissements d’une main adorée, et que l’on possède la certitude de se rejoindre au soir, jeunes, fiers l’un de l’autre, émus de désirs et de reconnaissance. Les agitations des hommes, leurs événements ne forment rien qu’une fresque pâlie sur des cloîtres imaginaires où notre corps léger, enorgueilli, promène les parfums et poursuit les reflets de la maîtresse. Ses souvenirs occupent tous nos sens, et, dans l’univers, seules nous savent intéresser les tendres beautés de son corps et la douceur de ses lèvres entr’ouvertes. Mais plus tendre et plus douce qu’aucune complaisance est la confiance dans son amour.