Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
L’APPEL AU SOLDAT

avait dit en novembre 1887 le prince Napoléon. « Organisez la consultation nationale », répètent les serviteurs du comte de Paris. Ainsi la liberté politique de Boulanger, chef des républicains plébiscitaires, demeurait intacte. Mais tel est le pouvoir dégradant de l’argent que Madame d’Uzès, MM. de Beauvoir, de Breteuil, de Mun, de Mackau, en dépit de la déférence et de l’amitié qu’ils témoignent au Général, le jugent leur prisonnier, et cette opinion qu’ils n’ont pas le droit de nourrir pourra se fortifier en eux selon les circonstances.

Mme  de Nelles avec François Sturel revenait de préférence sur le passé. Elle y plaçait son paradis. Elle avait perdu sa mère ; son mari la délaissait pour des petites femmes de théâtre. Elle croyait que tels étaient les usages, et les acceptait parce qu’elle le sentait brutal et différent. Elle tenait beaucoup au monde où il l’avait introduite, mais, nouvelle venue et sans défense naturelle contre la malveillance, elle n’y trouvait pas un agrément de tout repos. Dans son désir de sympathiser complètement avec Sturel, elle n’entendait même pas qu’elle faisait les demandes et les réponses. Comme elle répétait sans cesse qu’ils étaient nés pour s’accorder, lui-même se laissa envahir plusieurs fois, en la quittant au soir, par une mélancolie pénétrante. Il se convainquit d’avoir passé à côté du bonheur. Il lui parla avec sincérité de son isolement où elle se reconnut. Bien qu’elle se tint pour déliée de son mari, elle avait écarté les plus aimables séducteurs : dans leurs hommages présentés du ton léger et libre des hommes à succès, elle ne distinguait pas les caractères d’un bel amour. Elle les vit en Sturel dès qu’elle-même les posséda.