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AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

boulangistes du député, Sturel s’assura avec stupeur que le parti monarchiste tenait Dillon pour l’un des siens. D’une façon plus générale, il jugea singulier et désagréable que des rencontres organisées pour mettre en contact le Général et « la société » aboutissent à persuader celle-ci qu’elle allait utiliser celui-là ! Comme si une fièvre de la nation pour s’épurer et pour briser les formules était une force qu’on peut à volonté porter dans l’un ou dans l’autre camp ! Il ne voulut distinguer là qu’un témoignage de l’incorrigible fatuité des salons.

Sturel ignorait les réalités qui peu à peu se substituaient au premier enthousiasme vague et les comptes d’argent qui doublaient maintenant le programme. Nelles ne savait pas davantage les secrets, mais des airs de visage l’avaient averti qu’on pouvait se fier à Dillon et qu’on tenait Boulanger. En réalité, à cette date, le loyalisme des collaborateurs financiers de Boulanger se fût à peu près contenté de l’abrogation des lois d’exil. Ces royalistes s’exprimaient avec un singulier sans-gêne sur le comte de Paris. Lui-même, quand il communiquait, en avril, à M. Bocher sa décision de faire la « marche parallèle », ne faisait que ratifier, contraint et forcé, la tactique adoptée d’enthousiasme par ses troupes. Les catholiques comme M. de Mun étaient séduits par les libertés qu’on leur garantissait ; les grands propriétaires terriens, par la perspective de n’être plus traités en parias ; d’autres, par des ambassades, des candidatures officielles, des emplois dans la république nouvelle. En juin 1888, la duchesse d’Uzès pose trois millions « sur la carte Boulanger », pour que le Général mette le pays en position de se prononcer. « Faites ouvrir les urnes »,