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L’APPEL AU SOLDAT

— Il devrait me distinguer d’un tas de Gaudissarts politiques, ses amis.

— Eux, ses amis ! dit-elle avec un scandale d’enfant, mais ils ne sont pas du monde ! La politique, c’est un sport. C’est assez qu’il m’en rapporte une odeur de tabac : jamais aucun de ces « messieurs » n’a mis le pied dans mon salon. Avec tout le monde, j’ai eu la curiosité de rencontrer Boulanger, qui tourne des têtes jusque dans la société ; comment ne voyez-vous pas qu’il est trop vulgaire pour vous et pour moi ?

Ce ton suranné et frivole aurait dû écarter ce jeune homme, qui se faisait une idée infiniment plus haute du boulangisme, mais il éprouvait auprès de Thérèse de Nelles une émotion qui le dénaturait. À trois semaines de leur rencontre, il ne passait plus un jour sans venir rue de Prony. Ils parlaient avec une sorte de reconnaissance de cette soirée boulangiste, et la moindre observation de la jeune femme sur le Général, sur Laguerre, sur Déroulède, sur Naquet confondait d’admiration Sturel. En rentrant de la Chambre vers les sept heures et sans examiner ces deux visages animés par une complaisance réciproque, M. de Nelles, tandis que sa femme montait s’habiller, retenait encore le jeune homme quelques instants. Celui-ci se reprenait assez pour constater quel curieux phénomène est cette aristocratie française, qui survit à ses principes et même, pourrait-on dire, à ses membres, et qui, se recrutant parmi des enrichis assez effrontés pour falsifier leur état civil, demeure un corps social étroitement lié par des cousinages, unanimement exécré du pays et toujours prestigieux. Dans ces conversations toutes pleines des effusions