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AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

elle paraissait un peu une petite plume que le vent soulève, et maintenant, par son harmonie générale, par le mouvement de ses membres et par l’unité heureuse de sa toilette, elle donnait esthétiquement une sensation de poids. Sturel lui voyait la lourdeur des choses vraiment belles. Tantôt très courtoise et rieuse, tantôt choquée d’un rien et petite fille impertinente, elle suivait tous les usages auxquels la conviait son imagination de sa supériorité sociale, mais dans ses yeux un peu voilés de tristesse, et sur son visage mat, dont le teint aurait gagné à s’éclaircir, il y avait l’aveu de son délaissement, et tout jeune homme aimable et un peu avisé, en la voyant, aurait eu conscience de porter avec lui des consolations, faciles à faire accepter à condition de ne point les découvrir trop tôt.

Toujours l’atmosphère avait fortement agi sur cette nature, faite pour subir. Quand, avec sa mère, cette bonne Mme  Alison, si grasse et puérile, qu’une maladie de cœur vient d’emporter, elle vivait dans les villes d’eaux et à la Villa de la rue Sainte-Beuve, c’était la parfaite jeune fille pour flirt. Aujourd’hui, elle adopte certains accents regrettables de son mari, dont la fatuité protectrice agaçait si fort le jeune étudiant.

— Vous ne vous fâcherez pas, dit-elle un jour à Sturel, si je répète ce que m’a dit M. de Nelles ?

Sturel, avec un peu de dédain, car il commençait à être jaloux, affirma qu’il n’en avait que de la curiosité.

— Il m’a dit : « Autrefois j’avais imparfaitement jugé M. Sturel ; c’est un gentleman, un des nôtres. »