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STUREL CHEZ LE SYNDIC DES MÉCONTENTS

rester bien en face de Naquet, se mettant à expliquer d’un air important les idées de Bouteiller, il l’interrompit avec passion :

— Qu’est-ce que le Général a besoin d’un Bouteiller ? Qui donc connaît cet homme-là dans le public ?

Le groom Joseph annonça que le Général interrompait ses réceptions pour déjeuner. Comme des écoliers quand midi sonne, tous les boulangistes quittèrent bruyamment ces couloirs enfumés de leurs cigarettes. Sturel sentait son corps léger. Aucune chute dans ces escaliers n’aurait pu le briser. Il se laissait aller, comme un voluptueux à son appétit, aux besoins de son âme partisane. Plus boulangiste que les chefs, il s’écriait secrètement : « Pas de quartier ! Il est bien bon, ce Naquet, de savoir gré à Bouteiller d’une opinion sur l’affaire de Panama ! » Il aurait voulu frapper et courir des risques pour le Général. Il était fier d’appartenir à une cause, et, d’ailleurs, après avoir approuvé Saint-Phlin, Boulanger, Suret-Lefort, Renaudin, Naquet et les autres, il demeurait encore plus incapable de la définir. Il ne comprenait ni les caractères, ni les moyens de ces hommes, mais il s’exaltait, comme un voyageur arrivé de nuit dans une ville inconnue s’enivre d’espaces fameux qu’il distingue mal.

Pour le bonheur de répéter et d’entendre que le succès était assuré, il invita Renaudin à déjeuner ; puis, ensemble, ils allèrent rendre compte de l’entrevue à Saint-Phlin.

Celui-ci attendait du Général des paroles plus pleines et plus graves. Un récit très chaud ne put suppléer au charme de la présence réelle. D’ailleurs,