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VII
DÉDICACE

ment, et dans un âge aussi tendre, un député d’une littérature si spéciale et si ésotérique.

Et j’en suis bien aise, car il vous arrivera infailliblement de deux choses l’une :

Ou bien vous pesterez ce que vous êtes : un humoriste quelquefois exquis. Après l’ironie écrite, vous pratiquerez l’ironie en action. Cela ne m’inquiète pas, car je suis sûr que vous saurez vous arrêter où il faut dans votre manie d’expériences, et que ce seront vos collègues, jamais votre pays, qui en feront les frais. J’en ai pour garant, dans Un homme libre, cette étude fine et secrètement attendrie sur la Lorraine, que M. Ernest Lavisse considère comme un excellent morceau de psychologie historique. Votre esprit s’enrichira d’observations dont votre talent profitera : et, si vous transportez à la tribune votre style et vos idées d’ultra-renaniste et de néo-dilettante, on ne s’ennuiera pas tous les jours aux Folies-Bourbon.

Ou bien… ou bien vous valez moins que je n’avais cru, et alors vous finirez par être comme les autres. Insensiblement la politique agira sur vous. Vous prendrez goût aux petites intrigues de couloir. Vous deviendrez brouillon, vaniteux et cupide. Votre esprit, loin de s’élargir par des expériences nouvelles, ira se rétrécissant. Votre ironie supérieure se tournera en blague chétive : ou peut-être, au contraire, deviendrez-vous emphatique et solennel. Bref, vous vous abêtirez peu à peu. Vous a’aurez plus de style, et vous en viendrez à employer couramment, dans