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L’APPEL AU SOLDAT

tels volontaires ne laisseront pas s’engourdir les facultés de l’âme nationale.

Suret-Lefort nommait les personnages de quelque importance : Un collaborateur de Rochefort ! Ce nom personnifie l’instinct gai et d’attaque qui, surtout depuis deux siècles et sous l’influence de Paris, détermine les gens de notre race à s’indigner des injustices, à s’amuser des mésaventures du pouvoir. Cet autre, un ligueur de Déroulède, garde le vieux souci français de la gloire : les « patriotes », préoccupés avant tout de faire face à l’Europe, répugnent aux subdivisions parlementaires comme à de l’indiscipline. Voici un communard et, à côté, un bonapartiste. Et, si quelque solliciteur, baissant la voix, se plaint qu’« on ne peut rien tirer de Dillon », ou bien se vante de « lui avoir fait entendre le nécessaire », Sturel sourit et se répète qu’on ne va point à la bataille avec des demoiselles.

Que lui importent les motifs, les naissances du boulangisme chez ces hommes ! Il a un chatouillement des sens à leur voir l’optimisme et la pleine injustice des partisans. Et regardant la porte du chef, il éprouve au ventre ce petit froid qui, pour un jeune homme, incapable d’ailleurs de perdre la tête, marque le délicieux moment d’une émotion.

Mais voici un mouvement ! Un gros homme traverse la foule, du dehors vers le Général. Chacun le nomme et se range.

— C’est Dillon !

Et Sturel revoit immédiatement une gravure de la maison paternelle à Neufchâteau, l’Éminence grise, le capucin ami de Richelieu montant un escalier du Louvre au milieu des petits marquis inclinés.