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L’APPEL AU SOLDAT

gou, affaissé vers ses carpes et ses petits-enfants.

Wilson, dans cette campagne, ne veut voir qu’un épisode de la lutte du petit commerce contre les grands magasins. Il connaît ces champions de l’honnêteté publique et il ignore la nation. De là, sa tranquillité dédaigneuse. C’est à la fois un exotique et un maniaque. Cet ancien viveur apporte à tripoter la sombre fièvre du joueur qui sort de son cercle pour courir au claque-dent coudoyer des goujats et risquer son argent, son honneur. C’est moins amour du gain que passion des affaires. Il faut comprendre que certains déployent dans l’intrigue financière l’esthétique de l’art pour l’art : il y a des joueurs forcenés dépourvus de cupidité. D’ailleurs, ses jeux de Bourse, ses ventes d’influence, tout cet interlope le ruinaient.

Le carnaval des généraux, des députés, des entremetteuses, des magistrats, des policiers, des légionnaires faisait un tel tapage que toute la France se mit debout. La Chambre épouvantée autorisa d’ensemble, moins une voix, des poursuites contre Wilson. Trop tard ! Le sentiment public exige maintenant la disparition de Grévy. « Ah ! quel malheur d’avoir un gendre ! » hurlent jour et nuit les camelots. Le vieux Président, comme un Scapin, fait voler les lettres compromettantes et rosser les accusateurs. Paris vient chanter autour de son palais : « Tu nous a fichus dans l’pétrin ! » Dans les couloirs de la Chambre, Bouteiller plaide qu’on ne doit pas sacrifier le Président aux criailleries de la rue. Ce n’est pas sentimentalité en faveur de Grévy : vieux républicain, pourtant, à qui l’on doit des ménagements ; il tait même son goût pour l’intelli-