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enfant ; des yeux bleus, un visage brillant, s’il n’y avait pas eu un je ne sais quoi qui disait : — Eccovi, — cet enfant a été aux enfers. »

Quincey n’est sorti de sa réserve systématique sur la parenthèse de Londres et du pays de Galles que pour raconter comment il perdit son amie. Il considérait cet événement comme la grande tragédie de son adolescence, bien plus que le froid et la faim. Un soir, il avait dit adieu à Anne pour cinq ou six jours, dans le dessein de poursuivre aux environs de Londres une affaire qui devait décider son usurier à conclure avec lui. Leur séparation avait été presque solennelle. Ceux-là seuls s’en étonneront auxquels je n’ai pas réussi à faire comprendre le caractère mystique et exalté de cette liaison équivoque. Les deux enfants cherchèrent un coin obscur et solitaire : « Nous ne voulions pas, dit Quincey, nous séparer dans le tumulte et le flamboiement de Piccadilly. » Lui, babillait gaiement de l’avenir, et de ce qu’il ferait pour elle afin de la relever et de la tirer de sa fange dès que la fortune lui aurait souri. Elle, écoutait en silence, plongée dans un morne désespoir que les circonstances n’expliquaient ni ne justifiaient. « De sorte, poursuit Quincey, que lorsque je l’embrassai en lui disant un dernier adieu, elle mit ses bras autour de mon cou, et pleura, sans prononcer un mot. » Il ne la revit jamais. Elle ne revint jamais à leur rendez-vous accoutumé dans la rue, et il n’avait jamais pensé à lui demander son adresse. Cette disparition mystérieuse était la fin qui convenait à un personnage symbolique, et la seule qui permît à Quincey de continuer à vivre dans son rêve de réparation sociale. Il ne put cependant en prendre son parti. Il persévéra pendant des années à chercher la triste Anne dans Oxford-Street chaque fois qu’il revenait à Londres. Faute de mieux, il l’a transfi-