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mençait. Ou bien il jouait quelque mauvais tour à une personne considérable. Il n’y avait plus de sécurité pour aucun des invités, et quiconque essayait de l’amadouer recevait une bordée de mots piquants. C’était un farfadet enragé.

Il savait bien qu’il avait de très mauvaises manières : « Comment se fait-il, écrivait-il, qu’il y ait de grands poètes, de grands philosophes, pleins d’esprit du reste et connaissant la vie, qui ne sachent absolument pas comment s’en tirer dans ce qu’on est convenu d’appeler le monde distingué ? Ils sont toujours à l’endroit où il ne faudrait pas être. Ils parlent quand ils devraient se taire, et se taisent quand ils devraient parler. Ils sont toujours à rebours des usages reçus, froissent les autres et sont froissés. En un mot, ils ressemblent à un individu qui remonterait à grands coups de coude un courant de promeneurs paisibles. Je sais qu’on l’attribue à ce qu’ils n’ont pas l’habitude du monde, qui ne se prend pas devant une table de travail ; mais ce n’est pas difficile à acquérir ; il faut qu’il y ait une autre raison à cette incapacité dont rien ne triomphe. » Quatre pages plus loin, Hoffmann se donnait à lui-même la réponse : « Je m’ennuyais trop ; il n’y avait pas de considérations qui pussent tenir. »

J’imagine que les invités des thés esthétiques devaient s’amuser ; les grands hommes des salons littéraires ne sont pas toujours aussi divertissants que l’était ce malin petit démon ; mais leurs hôtes étaient au supplice. Hoffmann fut très rarement prié deux fois dans la même maison, et jamais trois. Sa carrière mondaine se termina ainsi d’elle-même au bout de peu de temps. Les gens de lettres ne se souciant plus de lui, ou lui d’eux, depuis qu’il leur avait si lestement tiré sa révérence pour courir après les gens titrés, il se trouva entièrement isolé.