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faisait de bons sermons et leur donnait d’excellents conseils. Il ne divaguait que sur un seul point : il soutenait qu’il était un certain Sérapion, martyrisé à Alexandrie sous l’empereur Décius, et que sa forêt était le désert de la Thébaïde. Sur tout autre sujet, il s’exprimait avec autant de raison et d’esprit qu’autrefois.

La curiosité de Cyprien avait été piquée par ce récit. Il noua connaissance avec le Père Sérapion, qui lui parut en effet un homme instruit et aimable, et lui parla agréablement de son martyre. L’ermite l’entretint aussi des visites qu’il recevait des grands hommes des siècles passés et lui montra un rocher d’où l’on distinguait, disait-il, les tours d’Alexandrie. Il redevenait parfaitement sensé dès que sa personne et son histoire étaient hors de cause. Son calme et sa bonne grâce encouragèrent son hôte à mettre la conversation sur les maladies mentales, et à citer des cas d’aberrations étranges chez des hommes distingués, sains d’esprit en dehors d’une seule idée fixe. Qu’y avait-il de plus fou, par exemple, de plus absurde, que de se croire en Égypte, lorsqu’on était à deux heures de la ville de B***, et de se prendre pour un homme martyrisé il y avait plus de quinze siècles ?

L’ermite l’avait écouté patiemment, avec un sourire un peu railleur. Quand Cyprien eut achevé, le Père Sérapion lui répondit à peu près ceci : « Vous avez très bien parlé, monsieur. Permettez-moi de vous répondre quelques mots. Je suis comme saint Antoine au désert, lorsqu’il était tenté par des démons. Il me vient de temps en temps des gens envoyés par le diable, qui veulent me persuader que je suis le comte P…, et m’attirer dans le monde. Je les mets à la porte de mon jardinet. Je pourrais en faire autant avec vous, mais ce n’est pas la peine. Vous êtes évidem-