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pêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup, il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre à la fois… Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée par l’Apocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert, et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries. Je me dis : — La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ? » Il alla prendre la rue Saint-Honoré et gagna le Louvre : « Là, un spectacle étrange m’attendait. À travers des nuages rapidement chassés par le vent, je vis plusieurs lunes qui passaient avec une grande rapidité. Je pensai que la terre était sortie de son orbite et qu’elle errait dans le firmament comme un vaisseau démâté, se rapprochant ou s’éloignant des étoiles, qui grandissaient ou diminuaient tour à tour[1]. » Il ne lui restait plus qu’une idée nette : Henri Heine l’avait chargé d’une traduction et l’avait payé d’avance ; il fallait rendre l’argent, puisqu’il ne pourrait pas faire le travail. Si c’était à cause de la fin du monde ou parce qu’il se sentait malade, personne ne l’a su. Le lendemain, Gérard de Nerval se rendit chez Henri Heine et lui tint des discours incohérents. Mme Heine envoya chercher un fiacre et le fit conduire à la maison Dubois. Des amis qui l’y visitèrent rapportent qu’il fut soigné pour un transport au cerveau.

Au bout d’un mois, il reprit sa vie accoutumée : — « Je composai une des mes meilleures nouvelles. Toutefois, je l’écrivis péniblement, presque toujours au crayon, sur des feuilles détachées, suivant le hasard de ma rêverie ou de ma promenade. » Cette nouvelle

  1. Le Rêve et la Vie.