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dans la suite des siècles. Adam accourait sans se faire prier et dictait ; mais c’était toujours inintelligible. Une divinité découverte sur le boulevard extérieur, entre la barrière des Martyrs et la barrière Rochechouart, était aussi l’objet de ses attentions ; pendant longtemps, il vint chaque matin lui rendre un culte, lui qui ne pouvait s’astreindre à rien de régulier. Ce dieu était une canne, taillée dans une racine de vigne et représentant une figure fantastique, aux yeux d’émail enchâssés dans le bois. Elle figurait avec beaucoup d’autres, également contournées et grimaçantes, à la devanture d’un affreux petit cabaret, obscur et lépreux, situé en contre-bas du boulevard. Gérard de Nerval faisait de longues stations dans cette cave pour jouir de la contemplation de la canne, et il avalait pendant ces séances d’horribles mixtures qui ne lui étaient assurément pas salutaires.

Il était tombé au dernier degré du désordre et de l’incurie. Champfleury, qui ne l’a connu que vers 1845, fut si frappé de sa façon de vivre qu’il prit des notes dont voici des échantillons : — « Mars 1849. — J’ai vu Gérard de Nerval à l’Artiste ; il n’a pas dépensé cinquante francs en deux mois. — Vous avez donc crédit quelque part, Gérard ? — Non, je mange une flûte pour mon déjeuner, et je dépense douze sous pour mon dîner. — Il prétend que cette nourriture lui donne un bon sommeil, des rêves agréables, et que la nuit lui sert de jour…

« Il entraîne un ami chez sa blanchisseuse : — Je voudrais mon linge, dit-il. — Son linge se composait d’une chemise. Gérard avec son ami passe dans une chambre voisine afin de changer de linge. L’ami remarque avec étonnement que la chemise que porte Gérard n’a pas de col, qu’une des manches est déchirée du haut en bas. — Tu donnes ça, lui dit-il, à la blan-