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cervelle au contact de sectes mystérieuses et malsaines. Ce n’était pas vaine curiosité. Une force invincible le poussait à se perfectionner dans les sciences occultes. C’était dans sa pensée le seul moyen de réparer, si toutefois elle était réparable, la plus cruelle aberration de sa vie, l’erreur qui transformait insensiblement ses jouissances de voyant en rongements d’esprits. Théophile Gautier nous a révélé la faute que son ami se reprochait si amèrement. Dans l’année qui avait suivi la sortie de Gérard de Nerval de chez le docteur Blanche, Jenny Colon était morte[1], réellement morte, ce qui était plutôt un bonheur, puisque vivante elle le fuyait, tandis que morte, il savait combien il lui serait facile de rentrer en communication avec elle. C’était toutefois à une condition : il ne pouvait la retrouver qu’au moyen d’objets lui ayant appartenu ; ainsi le voulait la doctrine à laquelle il s’était rangé ; et il avait tout brûlé, dans une minute de criminel égarement, pour se soustraire « à l’obsession d’un trop cher souvenir[2] » ! L’obsession n’en avait pas moins persisté, et le pauvre Gérard de Nerval s’abîmait dans un morne désespoir en songeant qu’il ne verrait plus « l’uniquement aimée », et que c’était sa faute.

L’Orient le récompensa de sa grande foi. En quittant l’Égypte, il s’était rendu en Syrie, où il avait obtenu d’être instruit dans la religion des Druses, fort mal connue, comme l’on sait. Il y avait retrouvé sa doctrine de la transmigration des âmes : « On ne dit pas d’un Druse qu’il est mort, écrivait-il, on dit qu’il s’est transmigré. » Le courant d’idées dans lequel il vivait lui rendit courage et confiance, et le résultat ne se fit

  1. Le 5 juin 1842.
  2. Théophile Gautier, Notice.