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et j’étais désormais assuré de l’existence d’un monde où les cœurs aimants se retrouvent. D’ailleurs, elle m’appartenait bien plus dans sa mort que dans sa vie. » Il ne s’affligea donc point en se figurant que Mlle Colon était morte ; l’âme qu’il aimait transmigrait une fois de plus ; voilà tout.

Les seuls moments pénibles de ce premier internement, les seuls du moins dont il eût gardé la mémoire, Gérard de Nerval les dut à des visions sanglantes et hideuses par lesquelles lui furent révélés des événements très anciens, ignorés jusque-là de toutes les histoires. Mais c’étaient des éclairs de souffrance, compensés et au delà par de longues joies surhumaines. Il passait des heures exquises à pétrir avec de la terre l’effigie de celle qu’il croyait morte : — « Tous les matins, ajoute-t-il, mon travail était à refaire, car les fous, jaloux de mon bonheur, se plaisaient à en détruire l’image. »

Il ne sortit de chez le docteur Blanche qu’au bout de huit mois, le 21 novembre 1841. Une lettre de lui à Mme Alexandre Dumas nous apprend pourquoi on l’avait gardé si longtemps, et ce qu’il pensait des jugements du monde ou de la science sur son état : — « Le 9 novembre[1]. — Ma chère madame, j’ai rencontré hier Dumas, qui vous écrit aujourd’hui. Il vous dira que j’ai recouvré ce que l’on est convenu d’appeler raison, mais n’en croyez rien. Je suis toujours et j’ai toujours été le même, et je m’étonne seulement

  1. Cette date est inconciliable avec celle du 21 novembre, qui a été relevée par les soins du Dr Meuriot sur le livre même du Dr Esprit Blanche. Avec Gérard de Nerval, il faut prendre son parti des dates fausses ou incertaines, soit qu’il se trompât effectivement, soit que les copistes et les imprimeurs n’aient pu déchiffrer son écriture, qui est tantôt très belle et tantôt illisible.