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pour obliger Jenny Colon à avouer qu’elle était Adrienne. Il loua des chevaux de selle et l’emmena au travers des forêts, sans la prévenir, vers le vieux château de brique à coins de pierre. À mesure qu’ils approchaient, les lieux parlaient à Gérard de Nerval, mais sa compagne ne semblait pas entendre leur langage : — « Ces aspects chers à mes souvenirs, dit-il, l’intéressaient sans l’arrêter. » Il tenta l’épreuve suprême et la conduisit sur la même place verte où il avait vu Adrienne : — « Nulle émotion ne parut en elle. Alors je lui racontai tout ; je lui dis la source de cet amour entrevu dans les nuits, rêvé plus tard, réalisé par elle. Elle m’écoutait sérieusement et me dit : — « Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : « La comédienne est la même que la religieuse » ; vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! »

« Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses… ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ? » Mlle Colon se chargea de la réponse à cette dernière question. Le régisseur de la troupe — un ancien jeune premier tout ridé — lui était dévoué et le lui prouvait de mille manières. Elle dit à Gérard : — « Celui qui m’aime, le voilà ! »

À qui tout manque, la chimère reste encore. Sylvie était gantière, Adrienne cabotine, et Gérard de Nerval s’écriait douloureusement : — « Ermenonville ! pays où fleurissait encore l’idylle antique, — traduite une seconde fois d’après Gessner ! tu as perdu ta seule étoile, qui chatoyait pour moi d’un double éclat. Tour à tour bleue et rose comme l’astre trompeur d’Aldebaran, c’était Adrienne ou Sylvie, — c’étaient les deux moitiés d’un seul amour. L’une était l’idéal sublime,