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Une liberté parfaite ajoutait à l’agrément du quartier des détenus politiques. « Cette prison, poursuit Gérard de Nerval, était l’idéal de l’indépendance absolue rêvée par un grand nombre de ces messieurs, et, hormis la faculté de franchir la porte extérieure, ils s’applaudissaient d’y jouir de toutes les libertés et de tous les droits de l’homme et du citoyen. » Lui-même prétendait avoir été très heureux dans cette aimable société, mais n’en croyez rien : — « La prison était le plus dur supplice qu’on pût infliger à un homme comme lui. Il fallait à ses poumons l’air libre, à ses pieds de voyageur l’espace sans entraves[1]. » Après le non-lieu qui le rendit à ses vagabondages, Gérard de Nerval se le tînt pour dit ; il s’arrangea pour ne plus jamais être mêlé à la politique, même à la politique pour rire des poètes chevelus.

C’est après Sainte-Pélagie, vers 1835, qu’il faut placer le campement romantique de l’impasse du Doyenné, demeuré fameux dans les fastes de l’école. Les gens à cheveux gris se rappellent ce qu’était la place du Carrousel avant le second Empire. Il n’y avait pas dans tout Paris de fouillis plus grouillant et plus pittoresque, sauf, peut-être, la ville de chiffonniers appelée la Petite-Pologne et située sur les hauteurs qui dominent la rue de la Pépinière. Le Carrousel était de beaucoup le plus amusant, à cause de son infinie variété. On y voyait des masures ignobles, les ruines d’une église, un manège, des quinconces de tilleuls, des chantiers de pierres, de vieux hôtels à trumeaux où venaient loger, en vue des Tuileries et des ministères, de jeunes attachés d’ambassade et des référendaires en herbe. Je n’ai jamais pu comprendre comment tout cela tenait, et il y avait encore de la place

  1. Georges Bell, Gérard de Nerval.