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manquais jamais d’être présent pour la voir charger et décharger. Tout bien compté, il y avait là dedans : un coiffeur, deux hommes de peine, cinq filles de chambre, neuf enfants, dont deux nouveau-nés et trois autres tétant encore, un perroquet jurant sans discontinuer, cinq chiens, quatre cochons d’Inde et un écureuil. » Il fut ballotté d’une ville à l’autre, au gré des hasards de la guerre, jouant pour les Français ou les Allemands sans regarder à l’uniforme, enchanté de Napoléon quand ses soldats remplissaient la salle, furieux contre lui d’avoir donné une bataille à Dresde en pleine saison théâtrale, et découvrant alors subitement que l’empereur avait « un effroyable regard de tyran et rugissait d’une voix de lion ». Il eut quelques bons jours et beaucoup de mauvais, connut les délices des soupers de comédiennes, les dettes, les expédients, la misère noire, en vint à inscrire dans son Journal cette note de bohème : « Vendu ma vieille redingote pour avoir de quoi dîner. » Et il demeura persuadé jusqu’à son dernier soupir qu’il avait « vécu la poésie ». Heureux homme !

L’idée d’écrire lui vint dans un des mauvais jours. Il n’était pas seul à souffrir la faim. Hoffmann avait épousé une gentille Polonaise, nommée Micheline, qui doit avoir une place d’honneur au paradis des poètes, car elle ne s’est jamais impatientée contre son mari. À cause d’elle, celui-ci fit un dernier effort dans un moment d’extrême détresse. Il offrit sa collaboration au directeur de la Gazette musicale, de Leipzig, par une lettre de 1809 où il lui racontait gaiement son histoire et finissait par lui avouer « qu’en ce moment il n’était rien, qu’il n’avait rien, mais qu’il voulait tout, sans savoir précisément quoi, et que c’était précisément là ce qu’il désirait apprendre de lui. Il ajouta qu’il lui fallait une réponse prompte, vu que la faim, et surtout